… ou comment le marché de la billetterie des théâtres français a changé de visage. Un exemple concret de la révolution THD pour les entreprises.
Dans une région isolée, lorsqu’une autoroute est construite pour désenclaver certaines villes, on assiste parfois au phénomène suivant : l’activité économique se concentre encore plus auprès des grosses agglomérations. Grâce à l’autoroute, les habitants des villes secondaires sont plus nombreux à faire leurs courses, travailler, amener leurs enfants à l’école dans la grande ville.
Nous estimons qu’un phénomène analogue se produit lorsqu’on établit des liens informatiques à haut débit entre des entreprises ou des organisations. Dans certains cas, nous assistons à un déplacement de la chaîne de valeur vers le siège ou vers le centre de décisions, à une certaine centralisation des ressources et une uniformisation des outils.
Pour illustrer pragmatiquement ce phénomène, prenons pour exemple la mutation du marché de la billetterie des théâtres français.
A l’origine, le théâtre contrôle la billetterie
Comment réserve-t-on un billet pour une salle de spectacles ou un théâtre ? Le plus courant est d’appeler le théâtre directement l’employé du théâtre indique les places restantes pour telle ou telle représentation, avec l’emplacement et le prix. Pour cela, il voit un écran avec le plan de salle et la disponibilité des places en temps réel. Ces données se trouvent sur un poste informatique dans les locaux du théâtre.
Il est aussi possible de payer par téléphone, les billets sont imprimés et envoyés au domicile, ou conservés au théâtre où ils seront remis le soir de la représentation. Contrairement à l’attribution des places dans un avion, par exemple, les billets de théâtre sont numérotés dès la réservation . D’autres moyens existent également : via un distributeur comme la FNAC ou via le producteur. Dans ce cas, le distributeur ou le producteur dispose d’un certain quota de places numérotées. Ce quota doit être ajusté selon des prévisions de vente qui restent très aléatoires : le succès d’une pièce est plus difficile à prévoir que la disponibilité des places dans un avion, par exemple.
Résultat : des distributeurs peuvent afficher complet pour une pièce qui a beaucoup de succès alors qu’il reste des places libres. Il peut aussi arriver que de nombreuses places restent invendues ou soient libérées très peu de temps avant le spectacle à des prix inférieurs ; elles peuvent même être offertes. En effet, si certaines places restent vacantes, il s’agit non seulement d’une perte de chiffre d’affaires, mais en plus cela peut nuire à l’image de la pièce.
Evolution technologique : la billetterie se sépare du théâtre
Avec la mise en place de liaisons informatiques à haut débit, il est désormais possible d’accéder à distance au système informatique d’un théâtre. Les producteurs jouent alors un rôle plus important : ils installent des plateaux de réservation qui sont physiquement indépendants des salles. Ceux-ci sont reliés avec tel ou tel théâtre pour le temps d’une représentation.
Dès lors, le numéro de téléphone indiqué sur les affiches des pièces n’est plus celui du théâtre. Il renvoie vers ces plateaux de réservation. Les clients contactent des télé-opérateurs qui ont accès aux plans de salle et peuvent effectuer la réservation à distance. Le billet est imprimé et expédié au client, ou bien retiré au théâtre. Les producteurs deviennent donc à leur tour distributeurs. Le système des quotas de places existe toujours, mais il est ajusté en temps réel, ce qui permet une optimisation du chiffre d’affaires.
La maîtrise de la distribution revêt une importance stratégique pour les producteurs. Ceux-ci peuvent anticiper l’évolution de leurs ventes en fonction des réservations pour une pièce, ajuster leur investissement mais également prévoir d’augmenter ou de diminuer le nombre de représentations.
Conséquences : centralisation et uniformisation
Sur le marché de la billetterie de théâtres, en quelques mois, nous avons constaté une spécialisation des fonctions : les plateaux de réservation grossissent et traitent plusieurs spectacles à la fois, ce qui permet de mieux allouer les ressources en personnel. Cette organisation permet de répondre aux pics de demande constatés lors des Premières, ou pour des spectacles qui attirent plus de monde que prévu. Elle permet aussi d’amortir les coûts fixes de billetterie pour les spectacles qui n’ont pas de succès et restent peu de temps à l’affiche. La centralisation a des conséquences importantes pour d’autres intervenants sur le marché. Par exemple, les systèmes informatiques sur les théâtres doivent s’uniformiser, puisqu’ils communiquent avec des centres de réservation communs.
1 an après : un paysage différent
La mise en place de liens à haut débit a eu des impacts importants et parfois inattendus sur le marché :
- Evolution de la chaîne de valeur au profit de la production (ici, le théâtre peut perdre le contrôle des ventes au profit du producteur)
- Centralisation de certaines fonctions afin de générer des économies et optimiser la recette
- Diminution du nombre de fournisseurs
Dans un cadre plus général, avec ce saut technologique, la distance entre 2 structures est une donnée qui perd de l’importance. Les relations commerciales sont facilitées et il est possible de penser autrement les organisations multi-sites. Les notions de « tissu économique », « zone de chalandise », « sectorisation » ou même de « marché » font intervenir une idée de rayon d’action, de distance. Si nous changeons de dimension en ce qui concerne la distance, alors les organisations elles-mêmes sont modifiées.
Les entreprises peuvent voir augmenter la taille de leur cible de clientèle, en prospectant dans d’autres régions. Dans le même temps, elles peuvent être menacées par un plus grand nombre de concurrents …
Elles peuvent faire appel à du personnel plus qualifié ou plus spécialisé, présent sur un autre site ou même à domicile. Elles peuvent choisir leurs fournisseurs parmi un nombre croissant de sociétés.
Le développement du haut débit en France a donc des conséquences profondes sur l’organisation des entreprises : une certaine centralisation des ressources, mais aussi la possibilité de travailler en réseau avec des sociétés ou du personnel éloigné. On peut imaginer une évolution vers des groupements d’entreprises spécialisées. Ce qui est certain, c’est que cette mutation est déjà entamée et se déroule sous nos yeux.
Nicolas Aubé, directeur général de CELESTE
A propos de CELESTE
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